J’exprime mes doutes face à cette idée.
Madame Annie Cohen-Solal déplore le fait que Sartre n’est apparemment pas apprécié en France. Selon elle, il serait par contre très apprécié dans le monde, une “référence obligée”. Dans son article, elle nous offre une liste de faits à propos de Sartre, un liste qui devrait nous faire comprendre la valeur de Sartre. Ce n’est malheureusement pas très convaincant. Sartre a dit ceci, a fait cela, et puis? On peut faire une liste similaire de la vie de tout penseur, qu’il soit médiocre ou non.
Et puis, l’un des éléments de la liste m’apparaît particulièrement problématique:
[Sartre] développa dès lors une pensée postcoloniale qui servit d’épine dorsale à tous les mouvements de décolonisation qui élaboraient alors leur prise de conscience […]
J’ai fait une maîtrise à l’Université de Pennsylvanie en études sud-asiatiques où l’un des volets d’étude est le postcolonialisme. Je suis en mesure d’affirmer que Sartre, dans mes études sur le postcolonialisme, n’était pas perçu comme une figure importante. Il n’était presque jamais mentionné, contrairement à Michel Foucault et Jacques Derrida, qui, eux sont mentionnés maintes fois. (C’en était devenu une farce parmi les étudiants que si un auteur n’était pas capable de supporter une thèse, il pouvait simplement mentionner Foucault pour se sortir de l’impasse.) Il est certain que le champ des études postcoloniales n’est pas homogène et donc il se peut que dans certains milieux académiques Sartre soit perçu comme une figure majeure dans le postcolonialisme, mais j’en doute. Dans ce domaine, Sartre n’est pas du tout une “référence obligée”.
Donc, je reste sceptique devant cette affirmation d’un supposé mépris de la France envers Sartre en opposition avec une reconnaissance de sa valeur ailleurs dans le monde. Non pas qu’il ne soit pas possible de trouver des exemples qui supporteraient cette affirmation mais il serait douteux que le contraste suggéré soit aussi réel que le suppose Madame Cohen-Solal.